Parce qu’il faut bien commencer son récit quelque part, j’ai décidé de revenir sur les conditions de mon départ de l’entreprise qui a failli m’employer 40 ans.
Un matin d’automne gris et insipide, après une énième prise de bec avec un de nos cadres intermédiaires tout aussi insipide, je me suis levée de mon bureau en silence, j’ai pris mon manteau, saisi mon sac à main et je suis partie. Pour toujours. Mais je ne le savais pas encore. C’était ça ou je chopai une kalachnikov et tirai dans le tas. A tout prendre, j’aimais mieux éviter qu’il y ait trop de sang sur les murs.
Dans mon désarroi, j’ai eu une chance infinie
Celle d’être née la bonne année et de bénéficier (encore) de dispositions qui m’étaient très favorables dont cependant j’ignorai tout.
L’entreprise en question, avide de se débarrasser de ses vieux salariés, était sur le point de signer un accord de rupture conventionnelle collective. Mais alors que ma cheffe venait de m’asséner un “il faut rajeunir l’antenne1” pour justifier ma mise à l’écart de la présentation des JT, j’étais trop jeune (et oui) pour prétendre profiter de cet accord en gestation. En revanche, je pouvais négocier mon départ en solo, mais il fallait faire vite car une fois le plan collectif entériné il n’y aurait plus de rupture individuelle possible avant trois ans. Autant crever tout de suite.
Grâce aux recommandations d’une amie, je suis allée consulter un avocat spécialisé en droit du travail. Et là, bingo ! Ce monsieur m’apprend que ça ne sert à rien de se battre contre mon employeur indélicat. Trop à perdre. En revanche, ayant dépassé les 55 ans, ce n’était pas à deux mais à trois ans de chômage que j’avais droit. Première nouvelle ! C’est vous dire comme j’étais accro au boulot et si peu au fait des solutions de repli. Mais j’allais vite rattraper mon retard. J’apprends vite.
Le calcul était vite fait : j’allais sur mes 59 ans+3 = 62, ça le faisait grave.
Car oui, grâce à mes jobs d’été et à mon fils, j’avais tous mes trimestres en poche pour partir à la retraite à taux plein à 62 ans. Une aubaine, une chance, un sacré coup de cul. Merci la vie.
Non sans avoir obtenu un arrêt de travail pour cause de burn out2, je négociai donc mon départ pile poil au bon moment et allai m’inscrire derechef à Pôle Emploi, pas trop fière de moi quand même car de ma vie je n’avais été au chômage. Il fallut que j’arrive en fin de carrière pour connaître ce mauvais sort, mais comme dit précédemment, ça valait toujours mieux qu’une tuerie de masse. Je n’hésitais donc pas trop à suivre les recommandations de cet avocat qui affirmait avoir une palanquée de clients de mon âge ayant fait ce choix. En gros, arrête de t’en faire Bro/Sis, prend le blé et dégage. Ce que je fis sans demander mon reste.
Me voilà partie pour 3 ans de chômage et là, re-bingo !
Nous sommes fin 2019 et le Covid fait son apparition. Pandémie mondiale, confinements, cessation de toute activité extérieure. Qui allait se soucier d’une vieille ex-journaliste télé en recherche d’emploi ? Personne et ça m’arrangeait bigrement !
Pourtant au début, j’ai joué le jeu à fond. Ateliers CV et lissage de compétences, consultations psy du travail, Ikigaï et Soft Skills, lectures, podcasts sur l’entrepreneuriat, inscription sur LinkedIn. J’ai tout bien fait comme il faut. Je ne voulais pas gâcher l’argent des contribuables.
Officiellement il s’agissait de créer mon activité de coach personnel. Officieusement, je rêvais de devenir YouTubeuse beauté pour les femmes de mon âge. Mais qui m’aurait prise au sérieux ? Coach, comme décoratrice d’intérieur, ça faisait plus crédible.
Et d’un coup, on nous a dit “restez chez vous”.
Plus de rendez-vous, plus d’ateliers motivations et retour à l’emploi, plus de consultations psy. Le désert, le silence, la stupeur collective, le néant institutionalisé. Plus rien ne m’empêchait de lancer ma chaîne beauté. Bien au contraire. Comme la vie, partout, était à l’arrêt, j’ai rassemblé une forte audience en assez peu de temps. Je répondais au double besoin des femmes de 50 ans et plus d’avoir quelqu’un qui leur parle d’elles et les aide à passer le temps. La pandémie ? Un temps béni pour les influenceuses.
Masque, vaccins, gestes barrière et réclusion volontaire, j’échappai à la maladie et m’installai avec ferveur dans mon nouveau job quand le temps arriva de faire ma demande officielle de départ à la retraite. Comme prévu, je suis passée de Pôle Emploi à la Carsat sans encombre ni perte de revenus.
Pourquoi j’ai eu beaucoup de chance ?
Parce qu’avec les réformes combinées du chômage et des retraites il ne sera plus jamais possible de faire ce que j’ai fait : sauver ma peau en quittant 3 ans à l’avance un lieu de travail devenu toxique sans me retrouver à la rue.
Parce que, née en 1960, je pouvais prendre ma retraite à 62 ans. A un ou deux ans près, c’était mort.
Parce que j’ai bénéficié d’un système protecteur en voie de désintégration.
Récemment, dans le sauna où j’aime me faire suer (au sens propre) après ma séance d’aquagym, une vieille chouette a commencé à me faire suer (au sens figuré) sur les chômeurs qui sont tous des fainéants, les jeunes qui ne veulent plus bosser, les étrangers qui profitent des allocs et de la CMU et qu’il serait judicieux de renvoyer chez eux. Tout ça parce que notre piscine préférée peine à recruter des coach ! J’ai bien tenté de lui faire comprendre que nous étions dans une société solidaire qui prend soin des plus vulnérables et que c’était plutôt bien, mais elle ne voulait rien entendre. Pour elle, il fallait tout supprimer. Tout, sauf la retraite évidemment puisqu’elle en profitait. Comme je n’en pouvais plus de son discours, je me suis levée pour partir, non sans lui avoir souhaité de ne pas avoir besoin un jour de ce système qu’elle vilipendait. Parce que moi qui me croyait à l’abri, assurée d’un super job à vie dans une belle entreprise, j’ai dû lui demander de l’aide à ce système.
Heureusement pout moi, il a répondu présent.
A lire : Le Démon du soir ou la ménopause héroïque, Florence Cestac (Scénario, et Dessin), Dargaud Florence Cestac aborde, avec l'humour qui lui est propre, un sujet jusqu'alors inédit dans la bande dessinée : le cap de la soixantaine. C'est l'histoire de Noémie qui découvre le résultat de sa mammographie : « Mais comment ça "deux petites boules" ? Je suis censée faire quoi avec ça ? » La soixantaine, presque arrivée à la retraite et, maintenant, le crabe ? Comme une prise de conscience foudroyante, cette menace sonne la fin de la vie telle que Noémie la connaissait. Maintenant elle va s'occuper un peu d'elle ! Largué, le conjoint ; largué, le boulot ; larguées, les contraintes ; larguez les amarres ! Florence Cestac aborde avec beaucoup d'humour l'approche la soixantaine, le temps qui passe et la maladie. A écouter : Gloria Steinem : pourquoi l’estime de soi est-elle une arme politique ? sur France Culture En écho à ma vidéo sur le nécessaire amour de soi, voici un podcast qui raconte comment la grande féministe américaine Gloria Steinem a fait de l'estime de soi une arme politique à l'usage des femmes. En 1991, une étude à l'initiative de l'Association américaine des femmes universitaires révélait ces chiffres sur l'évaluation de soi : à 9 ans, les filles et les garçons se sentent "bien dans leur peau" à 60 % au moins. À l'arrivée au lycée, les garçons ont toujours ce sentiment à 46 % et les filles à 29 %. Que se passe-t-il dans leur tête ? Pourquoi l'estime de soi chute chez les filles ? Comment la renforcer ? C'est le projet de la journaliste et militante féministe, Gloria Steinem avec son livre : Une révolution intérieure. Mais comment l’estime de soi peut-elle changer la donne face aux inégalités ? Et est-elle suffisante ?
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On en reparlera !
De ça aussi nous reparlerons.
Merci Catherine pour ce précieux témoignage ; he oui en France on casse la force vive des seniors, cuirassés par les années de changements dans le monde professionnel, les cheffaillons imbeciles, les décisions absurdes mais que l’on a appris à absorber… mais l’usure lente agit… si on protège les femmes enceintes en revanche on allume les seniors (et surtout les femmes)… mais quelle est cette société qui tire sur ses vieux leur sagesse alors que à peu près toute civilisation (y compris animale) fonctionne et s’appuie sur ses anciens pour perdurer ?
Bonjour Catherine
Oh je connais trop ce sentiment d être jetée. Pas tous à fait comme toi j avais 44ans mais pour eux trop vieille je leur coûtait trop cher il préférait nous remplacer par des jeunes au SMIC on m annonce ma rupture conventionnelle le jour de mon anniversaire on était toute un groupe alors on consulte un avocat on voulait obtenir une condamnation et il nous a dit non mais prenait l argent et voilà par chance j ai pu retrouver rapidement un travail mais ce sentiment que j ai ressenti. En tout cas j adore ta chaîne et ta newsletter 👍😀