Un bonheur. Un luxe. Une incomparable jouissance. Surtout en forme et en bonne santé. Posséder tous ses moyens et ne plus avoir que du temps libre ?
On n’ose en rêver.
Plus personne pour me dire quoi faire, comment le faire, à quelle heure le faire ni où le faire. Plus personne pour me seriner. Fais pas ci, fais pas ça. Plus personne pour me sermonner. Surveille tes horaires, tes paroles et tes arrières. Plus personne pour me contrôler, me fliquer ou me faire un croche patte. Reproches, critiques, semonces, notes, rapports, jugements, appréciations, évaluations sont dissous à jamais. Adieu les managers toxiques, le manque de moyens et de respect. Disparus les conflits, les tensions, la souffrance au travail. Soldés, les primes d’objectifs, les économies d’échelle, les flux tendus et la rentabilité à tout prix. Plus jamais d’assujettissement, d’obéissance, de soumission à une quelconque autorité. Oubliés, les entretiens annuels bidons, les convocations au siège, les conférences de rédaction qui ne servent qu’à distribuer les tickets du jour. Désamorcé, le stress qui me rendait malade.
Je suis libre. Absolument et définitivement libre. De mes choix, de mon timing, de mes activités, de mes fréquentations. Libre de toute obligation. Débarrassée de ces contraintes qui me pesaient tant en fin de carrière, de ces collègues pas toujours avenants, de ces chefs que je peinais à estimer. J’en ai terminé avec ce lourd sentiment de déjà vu, les tâches répétitives, les corvées dénuées de sens. J’étais trop vieille pour ces conneries et je rêvais de ce temps sacré où je pourrai enfin faire exactement ce que je veux. Me lever à pas d’heure, manger quand je voudrai, sortir et baguenauder à ma guise. Partir si ça me chante. Rester si tel est mon bon plaisir. Frayer avec qui je veux quand je veux où je veux ou bien ne voir personne et rester chez moi. Aller à la plage, au cinéma, faire du shopping pendant les heures de travail. Je fantasmais à fond sur ces journées délicieuses de farniente sans queue ni tête. Je me languissais de ces heures gouvernées par la seule satisfaction de mes envies. J’étais impatiente d’atteindre cette nouvelle ère uniquement dédiée à la réalisation de mes seuls désirs. Plus d’enfant à charge, plus de profs, de parents ou de patrons sur le râble. Rien que moi.
J’y suis !
Liberté, liberté chérie.
Je suis mon maître, mon boss, la cheffe de ce temps qui s’étire à l’infini devant moi.
Je me lève ou pas. Je me lave et m’habille ou pas. Je me recouche si je veux. Je ne cours plus comme une dératée dans les transports. Je suis oisive si j’en ai envie. Je m’ennuie avec délectation. C’est bon l’ennui. C’est créatif l’ennui. On n’a plus le temps de s’ennuyer de nos jours, comme si c’était un péché. Je fuis les bouchons et les heures de pointe. J’ai le choix de mes dates. Je ne m’astreins plus à rester informée non stop. Je me fous pas mal du Salon de l’agriculture, des résultats des dernières élections locales ou des performances des équipes sportives du coin. Je vis hors saison à temps plein. Et surprise, j’adore ça.
Je n’imaginais pas d’autres façons d’être que la mienne depuis quarante ans et je découvre, ébahie, que je peux me défaire de mes vieux réflexes sans perdre mon âme. Révélation.
Je choisis mes sujets. J’écoute mes besoins. Ma vie et mes engagements n’appartiennent qu’à moi. Je n’ai plus de comptes à rendre, de feuilles de présence à signer ni d’ordres à recevoir. Volupté.
Oui mais
Le travail, ça structure, ça sociabilise, ça organise, ça pose des jalons.
Du jour au lendemain tout s’arrête alors que vous êtes encore en plein élan. Comme ces chevaux de courses qui galopent bien au delà de la ligne d’arrivée parce qu’il leur faut redescendre après l’effort.
Il y a des matins où je me demande ce que sera ma vie à présent et cela m’angoisse.
Grâce à ma profession de reporter j’ai vécu 37 années intenses et bouillonnantes. 37 ans de terrain, de rencontres, de découvertes, de voyages, d’événements, d’aventures et d’inconnu. J’ai été mobile. J’ai exercé plusieurs métiers. J’ai appris. Je me suis perfectionnée. Je me suis donnée. J’ai eu de grands bonheurs. Est-ce que tout cela peut s’arrêter net, livrée à moi-même, dans la solitude et le repli ? Bien sûr que non. Pas pour quelqu’un qui a tellement (sur)investi son travail, lui a assigné une mission supérieure. Une grandeur.
On peut ne plus se satisfaire de ses conditions de travail, de l’environnement dans lequel on se trouve, de l’ambiance délétère qui envenime toute relation sans se lasser pour autant du sacerdoce en lui-même. C’est ce qui m’est arrivé. J’ai quitté une entreprise asphyxiante plus ou moins volontairement, mais je garde un attachement viscéral au journalisme dans ce qu’il a de plus noble et de plus essentiel à la démocratie. Vision romantique qui semble démodée, j’en conviens, mais c’est la mienne et je m’y accroche.
Voilà pourquoi, même si je kiffe grave de me lever à midi, de rester sous la couette à dévorer un livre ou une série avec un thé fumant ou en mangeant des gommes, de passer des jours en jogging sans voir personne, j’ai besoin de poursuivre une activité qui me permette de m’exprimer comme je l’ai toujours fait. Je suis née bavarde et je mourrai bavarde avec cette curiosité, cet appétit, ce besoin de comprendre, d’expliquer, de partager qui m’ont toujours animée. Parce que je suis faite comme ça. Personne n’y peut rien.
Je suis parfaitement capable de rester sans rien faire d’autre que profiter de la vie ce qui est un immense privilège. Mais il me faut toujours du mouvement, des conversations, des projets, des défis. Rien à faire. Je n’ai jamais été une femme d’intérieur et je ne le serai jamais. C’est pourtant à ça que la retraite pourrait aboutir : me cloîtrer chez moi, recluse, en attendant la mort. C’est en cela qu’elle est vertigineuse.
Alors je m’ébroue !
J’ai de nombreux centres d’intérêt. Je dispose des outils, des moyens, des techniques et du savoir faire. Rien ne s’oppose à ce que je me crée ma propre activité. Mais à mon compte. Plus jamais je n’aurai de chefs. Plus jamais on ne m’imposera une vie qui n’est pas la mienne. Plus jamais je n’accepterai de joug. Privilège de l’âge et de l’expérience. Je me suis affranchie. J’ai appris à bien me connaître et à me faire confiance. Je me suis détachée des modèles pour inventer mon propre style. C’est ma force, mon pouvoir personnel.
Cela suppose une bonne dose d’auto discipline. Ce que l’école, la famille et mon employeur m’ont ordonné, je dois me l’imposer à moi-même à présent. Des horaires, même souples. De la régularité. De la rigueur. De l’organisation. Du travail. Une nouvelle gestion du temps. Mais avec douceur et bienveillance. Je ne suis plus au bagne. Je peux pleinement satisfaire mon envie de démarrer une nouvelle carrière sans me martyriser, en prenant les choses comme elles viennent. Pour le plaisir. Pour être utile. Pour exister. Pour m’éclater, encore.
Dans ma dernière vidéo, j’explique à quel point mon maquillage du jour me met en joie. Mais c’est aussi parce que j’ai un rendez-vous ce jour-là que je suis toute guillerette. Et ce rendez-vous, c’est moi qui l’ai initié avec une personne que j’aime et que j’apprécie, pour répondre à un objectif que moi seule me suis fixé. Ainsi, grâce à ma chaîne YouTube, je fais toujours des tas de très belles rencontres, je m’exprime, je partage, je crée des contenus qui me ressemblent. Comme avant au fond. J’aime infiniment ce job que je me suis inventé, plein de promesses, la première d’entre elles étant de ne plus ressentir le vertige de la retraite.
A lire : "Pleine et douce", Camille Froideveaux-Metterie, Sabine Wespieser Editeur Premier roman de la philosophe dont les essais élaborent une théorie féministe plaçant le corps au centre de la réflexion. Une constellation de femmes attendent la venue au monde d'une petite fille, Eve, qui ouvre ce livre choral. 12 femmes, chacune avec son histoire, ses a priori, ses difficultés, ses envies, ses contradictions. Plusieurs générations de femmes s'expriment tour à tour tissant un récit à la fois singulier et universel.
A voir : "Mes rendez-vous avec Léo", Sophie Hydeavec Emma Thompson, disponible en VOD
Nancy Stokes, sexagénaire, enseignante à la retraite, a vécu une vie sage et sans excès. Après la mort de son mari, elle est prise d'un inavouable désir d’aventure. Elle s’offre alors les services d’un jeune escort boy, Leo Grande. Très joli film. Une ode à la femme mûre et au plaisir féminin. Emma Thompson grandiose comme toujours.
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Vertige de la retraite
Super article quel talent ! Pour ma part, à la retraite depuis 2021, oui, plus de chefs, plus d'horaires mais vu le montant de ma retraite, je suis obligée de travailler quelques heures par semaine, à mon compte, sans jours et horaires planifiés à l'avance, c'est toujours ça ! Et contente de rencontrer de nouvelles personnes, de garder du lien social. Contrairement à vous, j'ai du mal avec l'ennui, je ne sais pas rester sans rien faire ! Je vous abonnée à votre chaîne YouTube, vous êtes formidable !!
bravo Catherine, j'ai adoré ! entre autre : l'ennui n'est pas un problème c'est même une nécessité ! hélas pas assez enseignée, bravo, super texte et la reco , j'ai pas vu le film mais je me le mets ce week end ! Merci, Amal